Le collectif Io, en créant l’opéra Xynthia, affirme le caractère prophétique de la pièce d’Ibsen, Un ennemi du peuple, créée en 1883, qu’il croise avec le récit de la catastrophe provoquée, à l’hiver 2010, par la tempête Xynthia.
Deux moments, à plus d’un siècle de distance, l’un de fiction, l’autre bien réel, où l’on s’efforce de faire taire les lanceurs d’alerte. Pour leur redonner la parole, les artisans de Xynthia, ont privilégié la clarté du texte. Le livret, très efficace, que Valentine Losseau, tire de la pièce, recompose et resserre l’intrigue d’Ibsen sur cinq personnages. Thomas Nguyen le met en musique avec une grande simplicité mélodique. Si la ligne de chant est sans surprise, elle est cependant subtilement colorée par l’ensemble instrumental imaginé par le compositeur. Les ondes Martenot et le Cristal Baschet, joués par Thomas Bloch, se joignant au piano électrique Fender Rhodes, percussions, harpe et clarinette, forment une atmosphère liquide, tour à tour (ou à la fois) sombre et cristalline.
Un opéra traversé de poésie
L’intensité dramatique de la musique se révèle surtout dans les moments extrêmes. L’un est la tirade a cappella de Tomas Stockmann, le médecin des bains d’une petite ville, qui dénonce la mauvaise qualité des eaux de l’établissement et la volonté des notables de la réduire au silence. Les autres sont les scènes paroxystiques, où les deux histoires d’eau – celle d’Ibsen et celle de Xynthia – confluent, de même que les deux narrations, l’une lyrique, l’autre portée par la comédienne Alix Riemer. La musique s’y fait plus acérée tandis que la mise en scène de Mikaël mobilise tout l’espace, jusqu’à ce dialogue impossible entre le docteur et sa sœur, présidente de la société des Bains, dominant la scène depuis un gigantesque écran. La réussite du spectacle tient beaucoup à la qualité de la distribution vocale : Halidou Nombre, puissant et infatigable dans le rôle du Dr Stockmann, Emmanuelle Jakubek, parfaite dans celui de sa fille Petra, animée comme lui par l’idéal de vérité, Fabien Hyon incarnant à merveille le louvoyant Billing, et Stéphanie Guérin qui tient avec une grande force expressive le double rôle de Mme Stockmann et d’Aslaksen, la rédactrice en chef qui se veut contre-pouvoir mais défend les positions établies. C’est aussi un opéra traversé d’une poésie muette, avec les apparitions récurrentes d’allégories de l’eau figurées par les vidéos de Léa Troulard et Charlotte Gautier Van Tour et la danse de Sébastien Ly.
Jean-Guillaume Lebrun