Xynthia, l’odyssée de l’eau, opéra-vérité au Théâtre Silvia Monfort

’opéra n’a pas attendu que le cinéma s’empare des sujets d’aujourd’hui « d’après des faits réels » – les deux premiers opus lyriques de John AdamsNixon in China et The Death of Klinghoffer, étaient faits de ce bois –, et c’est presque avec naturel que nous sont renvoyés sur notre fauteuil les faits des journaux télévisés et des feeds de réseaux sociaux. Le dérèglement climatique se situe assez haut dans la liste (comme l’atteste Cassandra de Bernard Foccroullele mois dernier à la Monnaie de Bruxelles ou le prochain The Shell Trial, d’Ellen Reid à Amsterdam en 2024), mais qu’une situation contemporaine coïncide avec une fiction du passé est d’autant plus troublant. Dans Xynthia, l’odyssée de l’eau, opéra de chambre de Thomas Nguyen (et de son collectif Io) et Valentine Losseau créé à l’Opéra de Reims en décembre 2022 dans une coproduction impliquant l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz et Clermont Auvergne Opéra, la tempête Xynthia de février 2010 dans la commune vendéenne de La Faute-sur-Mer rejoint la pièce Un ennemi du peuple de Henrik Ibsen (1883). Leur point commun ? Un lanceur d’alerte ignoré puis méprisé pour des enjeux politiques et économiques, et dont les révélations éclatent au grand jour sous l’action de l’eau. La nature revêt ainsi le costume des dieux antiques, en déchiffrant l’encre sympathique du mensonge et de la trahison dans un tragique retour de bâton.

La parcelle de littoral atlantique à La Faute-sur-Mer a été particulièrement touchée par les submersions marine suite à Xynthia car l’équipe municipale d’avant la catastrophe avait ignoré la cartographie des zones inondables et les recommandations de non-construction par des experts. Un procès très médiatisé en 2014 a condamné l’ancien maire et son adjointe, ainsi que le fils de cette dernière, agent immobilier et président du syndicat de surveillance de la digue (dans des peines par la suite réduites en appel). Chez Ibsen, un médecin révèle la contamination des eaux d’une station thermale. Les journalistes souhaitent publier l’affaire, mais les intérêts individuels et l’attractivité balnéaire ont raison de la santé des curistes, si bien que la population entière se ligue contre ce paria abandonné par sa communauté.

L’argumentation mène la danse dans le livret de Valentine Losseau. Les lignes de chant au gré des dialogues entre les parties prenantes enrichissent une œuvre qui avance sans temps mort, comme un flux aquatique sans début ni fin. L’écriture musicale de Thomas Nguyen se concentre sur les timbres lumineux et d’infini transparent (ondes Martenot et cristal Baschet en apesanteur avec Thomas Bloch), l’envolée organique et authentique (clarinettes hors du commun de Juliette Adam), l’irréel malaxé (clavier Fender Rhodes par Yann Molénat, également à la direction), l’écoulement attendrissant (harpe onirique de Pauline Haas) et le rythme des joutes verbales (percussions théâtrales de Pierre Tanguy), qu’un système électroacoustique et amplifié transforme en vagues tournoyantes. La composition inclut aussi bien des interludes instrumentaux et aérés que des scènes vocales plus denses, dans le sillage de Bernard Herrmann ou de Danny Elfman. L’alliage des textures se prête entièrement au flot de mystère, d’enquête, du travail en cours, de questions, de dialogue, voire d’optimisme, entraîné par le texte littéraire, tandis que l’après-Xynthia appose des quantités de silence entre des éléments polyphoniques pour retenir le souffle de la sidération. Étonnamment, le chanté n’atteint pas toujours la profondeur du parlé sur ce livret, et fait atteindre un trop-plein (malgré son orchestration réduite) musical qui par moments dessert la transmission du message artistique.

Le metteur en scène Mikaël Serre illustre comment des personnes « normales » peuvent gagner en galon dramatique et se retrouver prescripteurs d’une cause plus grande qu’eux-mêmes. Les instrumentistes prennent même part à l’assemblée entre le médecin Stockmann et la directrice de la société des bains : il questionne ainsi la part de citoyenneté en chacun de nous sur des sujets d’intérêt public, même dans un grand bain de vidéos sur les puissances naturelles et des instants dansés (par Sébastien Ly) moins littéraux et servant de performant liant de récit. Nous avons moins goûté au jeu de la comédienne Alix Riemer, faisant trop sortir l’opéra de son cadre narratif. Le ténor Fabien Hyon affiche sa forme vocale olympique dans un épanouissement de prosodie, où le chanteur et l’acteur s’expriment de concert. Stéphanie Guérin fait également forte impression dans un double rôle où elle traduit en lignes délicates la diplomatie malveillante et l’assurance prédatrice. La diction d’Emmanuelle Jakubek n’est pas parfaitement intégrale, mais son timbre de grenade juteuse est un allié de choix dans l’orientation de ses phrases. Si Halidou Nombre signe des textures boisées, les obstacles de placement nuisent quelque peu à l’impact de son émission.

Les affaires et les combats citoyens sont donc bien possibles à l’opéra ! Pesticides, Clearstream, algues vertes, Edward Snowden ou #MeToo, à qui le tour ?

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15/09/2022

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